dimanche 16 décembre 2007

Thomas Demand, Cy Twombly, Mark Dion et...Paul-Armand Gette!




Samedi, petite virée dans Chelsea, quartier des galeries d'art contemporain, comme de temps à autre. Les espaces sont beaucoup plus spacieux que les cages à lapin du Marais, et les expos sont donc plus ambitieuses. Les sols de béton ciré s'étendent à perte de vue - Maman tu serais-seras verte de jalousie.
A la galerie 303, Thomas Demand expose 9 photos qui forment la série Yellowcake, du nom d'une forme d'uranium qui enrichi peut servir à la fabrication d'armes nucléaires. Les services secrets italiens auraient volé à l'ambassade du Niger à Rome un dossier documentant la vente du Niger à L'Irak de tonnes de Yellowcake, puis l'auraient vendu aux services secrets britanniques et américains. Le dossier se révélera être un faux. Thomas Demand a reconstitué la scène du vol à l'ambassade du Niger et l'a photographié avec une précision extrême. Au lieu du désordre irréfléchi occasionné par un vol, les objets s'organisent en une composition inflexible.
Je n'ai eu que 10 secondes pour admirer les peintures récentes de Cy Twombly rassemblées dans l'exposition "A Scattering Of Blossoms and Other Things" à la galerie Gagosian mais j'ai été fortement impressionnée. J'ai reconnu les grands bourgeons peints dans des couleurs vives et d'un trait large et expressif, présentés cet été à la collection Lambert en Avignon. Dans cette espace magnifique, les fleurs se reflètent sur le sol. Leur image est ainsi redoublée et troublée, et cet effet de miroir renforce leur impact sur le spectateur. De la fonction du béton ciré!
Enfin, j'ai été frappée par l'installation multimédia de Mark Dion présentée à la galerie Tanya Bonakdar. En collaboration avec le musée d'histoire naturelle de Londres , l'artiste a collecté et classifié tous les organismes vivants proliférants autour des tombes de Karl Marx, de la sufragette Emmeline Pankhurst et de Thomas Henry Huxley. Il utilise le nom latin des plantes issus de la classification établie par Carl von Linné au 18e siècle. Ainsi, l'artiste interroge par quels moyens connaissons-nous le monde ; il démontre le rôle clé du 18e et du 19e siècle dans la constitution du savoir scientifique ; il souligne comment la nature devient culture, et rappelle que ces systèmes de classification sont à la racine du concept de musée...Autant de pistes que Paul-Armand Gette explore depuis les années soixante! L'installation de Mark Dion, The Natural History of the Museum, a été produite pour célébrer les 300 ans de la naissance de Linné par le musée londonien. Je trouve ça évidemment étonnant qu'il n'ait pas demandé à Paul-Armand Gette, qui est aussi fin connaisseur que traducteur de Linné d'intervenir...Mais je comprends une fois de plus la puissance du marché et des conflits d'influence sur la production artistique.

La neige




La neige est devenue en l'espace de quinze jours un élément du décor new-yorkais. Le campus du Sarah Lawrence est recouvert d'une épaisse couche blanche. C'est très joli mais vraiment pas pratique. Seules les routes sont dégagées, et les absences de trottoir sont devenues des amas de neige verglacée. Entre les voies piétonnes et la chaussée, il y a de grandes rigoles grises de neige fondue. Je suis trop petite pour les enjamber, donc je patauge allègrement. Il faudrait que je me résolve à m'équiper de snow boots mais mon sens de l'élégance bien français me retient (- genre). Chaque trajet me prend désormais deux fois plus de temps car je médite chaque pas, histoire de pas perdre figure devant mon univers d'adoption en me ratatinant la face devant la bibliothèque. Sarah Lawrence a mis en place un système d'alerte. Si la neige se fait glace et gêne la circulation, il n'y a cours qu'entre 11h et 3h et les élèves sont prévenus par mail ou texto.
A New York, la neige se transforme presque immédiatement en fine bouillie un peu grise par endroit, c'est pas jojo. Mais, Central Park est gorgeous dans ses habits de neige, et on est prêt à tout supporter pour ce spectacle.

Williamsburg




Je me promettais depuis longtemps de visiter Williamsburg, quartier de Brooklyn dont chaque habitant est plus hipster que tous les étudiants du Sarah Lawrence réunis. C'est une zone très accessible grâce à la ligne L du métro. Bedford Avenue, axe autour duquel s'organisent tous les restaurants, cafés et boutiques, est la première station après l'East River.
Williamsburg n'est pas bien glamour de loin. Le quartier est constitué de petits immeubles et maisons en briques. Dès qu'on sort un peu des artères principales, les avenues désertes sont bordées d'entrepôts désaffectés - qu'attendent les hipsters pour les transformer en lofts? Mais l'aspect plutôt revêche du quartier est adouci par la trentaine de boutiques bobo qui le peuplent. Beaucoup sont des friperies qui proposent aussi des bijoux et vêtements de créateurs - est-ce une stratégie pour mieux vendre une paire de boots crottés à 150$? Tous ces vêtements et accessoires branchés m'ont fait envie, mais j'ai été sensible au destin de Williamsburg, ancienne zone industrielle s'étirant mélancoliquement le long de l'East River, devenue en l'espace de quelques années un temple du shopping.

Bagels


Je me plains beaucoup de la nourriture américaine - fade, sucrée, grasse, assertive - mais en quatre mois j'ai tout de même développé une addiction aux "bagels". Ce sont des petits (relativement) pains en forme d'anneau à la texture très ferme, plongés dans l'eau bouillante avant d'être cuits au four. Ils sont nature, au sésame, au pavot, aux oignons, à la canelle et aux raisins. On les coupe et deux tranches et on les mange frais ou toastés, accompagnés de beurre, cream-cheese, peanut butter...ou encore fourrés de saumon, jambon, fromage, crudités, cream-cheese au tofu...Selon les circonstances.
A New York, on trouve des bagels délicieusement rebondis et frais. A la cantine du Sarah Lawrence, les bagels sont généralement secs mais ce n'est pas ça qui m'arrête. Les "restaurants" de Sarah Lawrence sont gérés par une entreprise extérieure, Flick, contre qui tous les étudiants s'indignent: les produits sont mauvais et les prix exhorbitants. Tous les employés de Flick sont d'origine latino. Ils ont des horaires de travail très lourds et sont maltraités par les managers, selon quelques récits parus dans les journaux étudiants ou quelques confidences recueillies ici et là.
Entre eux et moi c'est une histoire compliquée faite de malentendus. Samedi matin, un scénario joué mille fois se répète: je demande un "plain bagel, toasted, with butter". J'ai beau retourner le mot "butter" dans tous les sens, la serveuse ne me comprend pas. Alors, comme d'habitude, je pointe avec le plus de précision possible l'ingrédient à la texture jaune et graisseuse qui se trouve devant elle. C'est comme ça que je me suis retrouvée avec comme petit déjeuner un bagel with mayonnaise.